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Livre - Page 67

  • Derrière la vitre brisée (8, à suivre)

     Derrière la vitre brisée de Hank Vogel-.jpgNous nous asseyons autour de ma petite table ronde.

     Destinée pour quatre convives y compris moi, me dis-je. Malheureusement, nous ne sommes que deux: Zuzana et moi. 

     - Cette pensée est certainement due à ta fameuse obsession du cercle infernal composé de deux paires de monstres, m’expliquerait mon ami le philosophe.

     Encore lui! Toujours lui! Tel l’esprit d’un grand chef spirituel qui s’obstine à me soumettre à sa doctrine, ses principes.

     - Alors qu’avez-vous à me raconter? je demande à Madame Zum.

     - Qu’as-tu à me relater, me corrige-t-elle... Est-ce par timidité ou par mauvaise volonté?

     - Je ne vous... je ne te suis pas...

     - Que tu te comportes ainsi vis-à-via de moi?

     - Ainsi comment? 

     - Comme quelqu’un qui traite facilement les autres de zèbres ou de babouins.

     J’en reste sur le cul. Durant plusieurs secondes.

     Puis, d’un air très inquiet, je lui demande:

     - Qui habitait ici avant moi? Un détective privé, un espion ou un fabricant de micros exceptionnels?

     - C’est quoi pour une question hors de propos et à multiple tiroirs par dessus le marché? s’insurge-t-elle. Ton appart n’était pas encore totalement peint lorsque je t’ai  filé les clés. Tu ne t’en souviens pas?

     - Si.

     - Alors?

     - J’ai dû rêver.

     - J’aime mieux ça.

     - Et?

     - Et quoi?

     - Quel est le but de ta visite? Qu’as-tu à me relater?

     Elle sourit.

     Puis, satisfaite que ma mémoire tienne la route, elle me narre dare-dare:

     - Tout à l’heure, j’étais avec trois zigotos de la mairie. Le premier déguisé en pasteur. Le deuxième en imam. Et le troisième en rabbin. C’est ce que j’ai cru de prime abord. Vu que Halloween, c’est pour bientôt. Mais ce n’était pas le cas. Alors je me suis trouvée dans le caca. Désolée pour cette expression vulgaire mais la réalité est moralement pire que ça. Que faites-vous là dans ce havre de paix pendant que vos frères et sœurs se battent à mort, les uns pour une Palestine reconnue et les autres pour un Israël en sécurité? je leurs ai demandé. Et vous le pasteur, vous feriez bien de remplacer le Général suisse, envoyé sur ces terres explosives en tant qu’arbitre pour des prunes et mais non pas pour des clopinettes, au lieu de prêcher la bonne parole ici à des accros éperdument convertis à l’internet? Et ce fut un bain de sang, un véritable bain de sang.

     - Et ce le temps d’une pissée! je hurle.

     - Comment ça? s’étonne Zuzana.

     - En effet, je vous ai aperçus de ma fenêtre, derrière la vitre brisée... en train de bavarder. Mais pas la bagarre à cause... à cause...

     - A cause?

     - D’un besoin d’uriner. Dommage, j’ai loupé le plus intéressant.

     Elle tire une grimace à faire fuir les corbeaux.
     
     Et je poursuis:

     - Conclusion: la guerre, c’est un jeu d’enfant pour les déséquilibrés et la paix, c’est tout le contraire. Et... et...

     - Et?

     - Ceux qui se mettent à table pour négocier  tout cessez-le-feu, comme toi et moi, aiment trop les armes et complotent régulièrement avec les marchands de canons. Donc... donc...

     - Donc?

     - La paix frise souvent le miracle.

     - Ton pessimisme me désespère. Ton raisonnement ne me convient pas. Ou inversement.

     - Ou inversement? as-tu dit.

     - Oui pourquoi?

     - J’ai souvent écrit ça dans mes ouvrages... En as-tus lu quelques-uns?

     - Tous!

     - Non?

     - Si... Et davantage.

     - C’est-à-dire?

     - C’est top long à expliquer. Pas aujourd’hui.

     - Quand ça?

     - Après le passage du pasteur, de l’imam et du rabbin.

     - Où ça?

     - Chez toi.

     - Dans quel but?

     - De te faire peur ou de chanter le Cé qu'è lainô.

     - Déjà?... C’était finalement une blague?

     - On m’a piégée deux fois. 

     - Comment est-ce possible?

     - Que veux-tu, on confond tout de jours. Halloween et la nuit de l’Escalade où les genevois ont vidé leurs pots de chambre sur la tête des mercenaires du Duc de Savoie et...

     - Stop  pour les détailles! Je connais parfaitement cette histoire. 

     - Moi aussi... Ce parallélisme, c’est sûrement à cause des morts... Puisque tu prétends être un historien trop bien informé, sais-tu au moins ce que ça signifie cé qu'è lainô.

     - Celui qui est en haut.

     - Eh bien, tu m’en bouche un coin!

     - Tu veux que je te chante la chanson?

     - Chiche! Mais la première strophe seulement...

     - OK! 

     J’avale ma salive et je me lance:

     - Cé qu'è lainô, le Maitre dé bataille, que se moqué et se ri dé canaille, à bin fai vi, pè on desande nai qu'il étivé patron dé Genevouai.

     - Traduction?

     - Celui qui est en haut, le Maître des batailles, qui se moque et se rit des canailles, a bien fait voir, par une nuit de samedi, qu'il était patron des Genevois... Ce qui prouve que j’ai raison.

     - La dernière phrase fait-elle aussi partie de la strophe?

     - Bien sûr que non!... En d’autres termes, c’était pour souligner que la plupart des hymnes nationaux sont des stimulateurs de haine, de vengeance, de n’importe quoi sauf d’amour entre les peuples. Dieu, bataille, soldat, ennemi, sang et j’en passe... ce sont des mots qui engendrent la discorde.

     - Tu te trompes, Raoul!

     - Raoul certes mais pas Charly! Pour quelle raison?

     - Dieu ne pousse pas à la discorde.

     - Pas lui!

     - Alors?

     - Parce qu’il n’existe pas. Ou, si tu préfères, parce qu’il ne représente pas la même chose pour tout le monde. Pour certains, c’est être gentil qui permet presque tout et pour les autres, un être sévère qui interdit presque tout.

     - En somme, comme un verre à moitié plein et un verre à moitie vide.

     - Excepté que dans l’un, l’eau est  sucrée et dans l’autre, l’eau est salée.

     - Tu as réponse à tout.

     - C’est normal, j’écris.

     - Mais tu ne sais pas tout.

     - Au sujet de quoi?

     - Des micros.

     - Quels micros?

     Du coup, elle se lève d’un bond, fait claquer ses talons et me dit sèchement en partant:

     - Je ne répète pas la messe aux ânes. A tout bientôt, mon cher polygraphe!...