Hermine, blonde, presque toute de noir vêtue, de la tête aux pieds, la cigarette au bec, décontractée en apparence, entre dans un bar, déroule sa grande écharpe beige qui est autour de son majestueux cou, l’unique pièce qui se distingue par sa couleur se son ensemble si sombre, d’où le presque, s’installe au comptoir, près du téléphone, et dit au barman:
- Avant de me servir un ballon de rouge, dites-moi si mon amie m’a appelée.
- Laquelle? rétorque-t-il. Vous en avez tellement.
- Celle de hier soir.
- La petite avec une cicatrice sur la joue gauche?
- Elle n’a pas de cicatrice à la joue gauche, mon amie.
- Non?
- Non.
- J’ai dû mal voir.
- C’est ça, vous avez dû mal voir. Elle m’a appelée?
- Je ne pense pas.
- Soyez précis! Elle a appelé, oui ou non?
- Non, elle n’a pas appelé.
- Voilà qui est bien dit!
Hermine écrase sa cigarette dans le cendrier. Plonge une main dans son sac et y retire son carnet d’adresse. L’ouvre à la lettre C. Murmure quelques chiffres. Puis, sans demander l’autorisation à qui que ce soit, décroche le téléphone et compose un numéro. Occupé. Elle raccroche.
- Je me suis permise, dit-elle au barman.
- J’ai bien vu, réplique l’homme avec un sourire au bout des lèvres... Vous vous comportez comme ça partout?
Hermine ne répond pas. Son esprit est ailleurs. Quelque part dans le monde de l’imaginaire. Un imaginaire si vague, si flou, si semblable à elle-même peut-être.
- Je vous sers quand même un ballon de rouge? lui demande le barman.
- Quelle question! s’écrit-elle machinalement... Vraiment, quelle question?
Bouche cousue, le barman lui sert le ballon de rouge. Hermine avale le vin d’un trait. Comme par rage. Mais quelle rage? Aussitôt après, elle en redemande un deuxième et s’allume une cigarette...