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Livre - Page 4

  • L'autostoppeuse (5&6, à suivre)

     Bushmulla  l’autostoppeuse de Hank Vogel.jpgNous roulons.

     Après un long silence, chargé de multiples inquiétudes et d’interrogations, sûrement plus dans l’esprit de ma passagère que dans le mien,  je décide de mettre fin à ce mutisme, rongeur pédant et infatigable, en me présentant. Soit:

     - Je m’appelle Philibert de Maisonneuve, Phil pour les amis... Et vous?

     La fugitive, d’après mon intuition, hésite un bref instant puis me demande:

     - Mon hétéronyme vous suffirait?

     Je me frotte le front et lui réponds:

     - Si ma mémoire est bonne, ce terme est un pseudonyme utilisé par un écrivain pour incarner un auteur fictif... Oui?

     - Seriez-vous un littéraire? 

     - Non, un licencié en lettres. Mais cela me fait une belle jambe...  Alors?

     - Bushmulla. A ne pas confondre avec Bush Milla. Mais aussi, parfois, Blagadariou.

     - Dois-je conclure que vous êtes une écrivaine en train de fuir son éditeur?

     - Ça alors!

     - Qu’y a-t-il? 

     - Je passe de surprise en surprise. J’ai vraiment l’impression de jouer dans une film d’anticipation.

     - Qu’est-ce qui vous fait dire ça?

     - Votre voiture d’abord ensuite vous avec votre capacité à lire le vécu des gens  comme... comme...

     - Un extraterrestre?

     - C’est ça! Vous voyez que j’ai raison?

     - Peut-être. Mais il s’agit d’une simple question d’observation... poussée par mon imagination ou inversement. 

     - C’est-à-dire?

     - J’observe et j’imagine aussitôt ou j’imagine et j’observe aussitôt. Et comme nous nous ressemblons tous psychologiquement, mis à part les pervers et les dingues de haut niveau, nous agissons de la même manière face aux choses troublantes qui se présentent à nous. Ai-je été clair?

     - Plus ou moins.

     - Je pourrais...

     - Non, non, ça va! Je préfère que vous soyez plus attentif à l’égard de la circulation.

     - Mais c’est Albert qui conduit pas moi! Avec prudence et sécurité. Moi, je fais  semblant... Ne l’avez-vous pas remarqué?

     - Si.

     - Alors?

     - Malgré cela, l’homme en général me rassure davantage que la machine.

     - Pour quelle raison?

     - Parce que c’est lui l’inventeur, le créateur et non le contraire.

     - Et c’est tout?

     - Non.

     - Quoi d’autre?

     - Également parce que le robot, le plus intelligent soit-il, raisonne ou fonction toujours par déduction et jamais par intuition... Il est  incapable d’improviser le cas échéant...

     -  Donc, selon vous, cette connaissance directe et immédiate est un don du ciel?

     - Probablement.

     - Cela m’arrange terriblement.

     - Autant que ça?

     - En effet, car... car...

     - Car?

     - Je pensais souvent qu’elle était le fruit mûr de... je crois que je me suis déjà exprimé sur ce sujet, non?...

     - Et maintenant?

     - Vous êtes bizarre! Tantôt vous voulez savoir, tantôt vous ne voulez pas. L’indifférence et la curiosité!...

     - Je vous ai posé une question.

     - Je ne sais pas... plus.

     - A cause de moi?

     - Adressez-vous au Bon Dieu.  

      Soudain, Bushmulla alias Blagadariou se caresse le bras gauche avec sa main droite et, forcément, je constate par des regards rapides et discrets que ses doigts sont longs et soignés et que sa peau est d’une blancheur immaculée.

     - Qu’allez-vous me sortir encore? me demande-t-elle, ayant aperçu mon attitude plus ou moins indiscrète.

     - Je déduis que vous êtes musicienne et végane, je lui réponds avec fierté.

     Du coup, elle crie:

     - Arrêtez-vous sur le champ, Alfrède?

     Mais, hélas pour elle, rien ne se passe.

     Je sourie et lui explique:

     - Elle est formatée pour n’obéir qu’à ma voix. Raison de sécurité. Et sachez aussi que,  d’après ma concierge, je suis un être totalement inoffensif vu que je suis un parfait fainéant. Mon seul désir en ce moment, c’est de vous rendre service. Où souhaitez vous aller avant qu’Alfrède ne me le réclame?

     - Désolé, je vous ai pris pour quelqu’un d’autre, m’avoue-t-elle. Mon imagination ne joue constamment des tours, depuis un certain temps.

     - Voulez-vous qu’on en parle? Parler permet parfois de se libérer.

     - Ici et tout de suite?

     - Dans un café ou un restaurant, ce serait plus agréable... OK?

     - OK!

     - Mais après cela, où devez-vous vous rendre? Afin qu'Alfrède puisse s’organiser. 

     - A Soral, chez ma meilleure amie.

     Et j’ordonne à mon véhicule intelligent:

     - Décode et exécute tout ce que tu as entendu.

     Une dizaine de minutes plus tard, nous entrons dans une petite auberge et nous nous asseyons l’un en face de l’autre à une table pour deux personnes près d’une fenêtre.

     A peine installés, une serveuse s’approche de nous et nous dit:

     - Soyez les bienvenus chez nous, c’est votre jour de chance.

     Puis elle s’adresse à moi;  

     - Cher Monsieur, vous n’aurez besoin qu’à  régler votre menu car celui de Madame est offert par la maison.

     - Zut, on me fauche ainsi l’herbe sous le pied! je m’exclame... Dommage.

     - Ou la moitié des deux, corrige-t-elle. Si cela vous convient mieux...

     - En effet, je préfère ça.

     - Et pour quelle raison? me demande Bushmilla.

     - Parce que hier, c’était mon anniversaire, je lui explique. Et, d’après mes vieux, celui qui donne simplement reçoit doublement et...

     - Et?

     - Et je n’ai encore rien donné qui puisse combler ma joie pour ce jour de fête.

     Étrangement, les deux femmes se font un clin d’œil  et elle me souhaitent simultanément:

     - Longue vie et santé!

     - Merci, à vous de même, je murmure en baisant la tête et en rougissant presque.

     Mais aussitôt, je la relève et sans vergogne, je demande à mon tour, à l’hôtesse de l’établissement:

     - Et vous, pour quelle raison? Parce c’est l’ouverture de la chasse dans un canton où l’art de tuer des bêtes sauvages est strictement interdit mais non pas bouffer leur chair?

     Elle hoche la tête en grimaçant, en signe d’affirmation pourtant.

     - Malheureusement, la demoiselle ici présente est végétarienne...

     - Plus depuis maintenant! greffe Bushmilla en me coupe la parole. Et elle poursuit:

     - Mais à condition que la boisson soit sur le même tarif exceptionnel et un bon vieux vin car c’est ma participation.

     - J’ai un excellent cru de la région, propose la serveuse. Ou voulez-vous que je vous apporte la carte?

     - Pas la peine, je vous fais confiance. J’adore les  surprises et c’est  la journée, je crois. Et puis, il faut bien soutenir nos chers vignerons avant qu’ils ne disparaissent à jamais... n’est-ce pas Monsieur Philibert de Maisonneuve?

     - Naturellement!

      La serveuse se retire.

     Pour nous service ensuite, bien entendu...