De retour à table, en m’asseyant, Bushmulla me demande avec inquiétude:

 - Tu en as mis du temps, que s’est-il donc passé? Tu parais très bizarre.

 - Vraiment? je lui réponds tout étonné.

 Mais je poursuis aussitôt, d’un air archi décontracté:    

 - Non, personne n’est venu me faire des gâteries et je le regrette. Mais j’ai tout de même eu droit à la visite de Double Z...

 - C’est qui? Je ne connais pas...

 - Dommage, elle t’aurait sûrement aidé...

 - C’est qui? 

 - Ma concierge.

 - Tu es sérieux ou tu blagues?

 - A moitié.

 - Comment ça?

 - Elle m’a traversé l’esprit, cette conseillère de bon aloi, malgré elle bien entendu.

 - C’est à cause du vin tout ce charabia?

 - Probablement... Mais une promesse est une promesse.

 - Quel rapport?

 - Tu veux que je te parle de mes amours ou pas?

 - Si, bien sûr!... Je t’écoute.

 Je me concentre un laps de temps, j’hésite un bref instant puis je me lance avec une mine de chien battu:

 - Malheureusement, je n’ai eu jusqu’à maintenant que deux vraies copines qui, toutes les deux, m’ont largué comme une vieille paire chaussettes. La première s’appelait Blanche Blanc, parce que soi-disant elle devait retourner dans son pays, en Afrique. La seconde, qui se prénommait Avrill, en me posant un lapin le premier avril de l’année passée et je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles, bien que...

 - Ça va, j’ai compris! me coupe-t-elle. Je constate que tu préfères jouer au con au lieu...

 - Mais c’est la vérité, bon sang! je la coupe à mon tour en hurlant et en tapant du poing sur la table. 

 Étonnamment, Bushmulla reste de glace. Telle les sculptures à Bruges les jours du festival.

 Ce qui me pousse peut-être à lui expliquer:

 - Désolé, c’était plus fort que moi. Certainement dû à mes gênes. Surtout lorsqu’une vérité dure à cracher est avalée de travers par le destinataire.

 L’autostoppeuse me sourit.

 - Je préfère ça, je réagis... Me suis-je mal exprimé?

 Elle hausse les épaules, me sourit de nouveau puis me raconte:

 - Ton comportement en assesseur, si tu me permets cette expression, m’a fait aussitôt penser à un ami d’enfance qui m’a permis de m’échapper d’où je viens... Oui, c’est vrai, en quelque sorte, Rafael Da Rocha, m’a sauvé la vie. Sûrement, grâce à ses lectures... Lire ouvre l’esprit, permet de mieux  comprendre l’autre, de ne pas trop vite le juger, se focaliser sur ses supposés défauts ou qualités... A condition de ne pas se laisser conditionner par les diktats de certains auteurs convaincus qu’ils détiennent la vérité. Comme mon beau-père. Un montre parmi ces montres religieux qui pratiquent les arts martiaux ou presque. Et... et...

- Et?...