Raoul baisse les yeux, hésite un instant puis me dit:
- On raconte tellement d’histoires sur les abbés et les curés, catholiques forcément, qui violent les petites filles et les petits garçons mais aucune sur ceux de mon ex religion, à ma connaissance. Et pourtant, ils sont nombreux sur la liste des abominations qui ne cesse pas d’allonger. Warum zensieren? criait l’allemand qui détestait Hitler avant de passer au four crématoire. Parce qu’il y a aussi des dictateurs parmi les hauts dignitaires religieux... Mon cas n’est pas unique. Heureusement, je n’ai pas passé à la casserole... mais j’ai failli à deux doigts si ma mère n’était pas intervenue. Verstanden?
- Je ne savais pas que tu parlais aussi l’allemand.
- Je le parle toujours.
- Oui, bien sûr... Et comment ça se fait?
- Le jour où la Russie ne voudra plus de moi, je file fond à la caisse, cette fois-ci pour de bon...
- En Allemagne évidement, n’est-ce pas?
- A condition qu’elle ne se lance pas dans une nouvelle guerre.
- Pourquoi tu dis ça?
- Parce que dans chaque fritz sommeille un boche.
- Eh bien! On dirait que tu connais les Allemands mieux qu’eux-mêmes.
- On a le sens anthropologique ou pas.
- C’est ça que tu voulais étudier mais que...
- Exactement! Malheureusement, un Azéri n’est bon que pour vendre des fruits et des légumes ou, par change, de la bastourma. Partout ailleurs, on le considère comme un présumé terroriste.
- Tu exagères, Raoul! Qui veut un jour peut toujours, avec de volonté et de la persistance.
- Pour toi: oui! Mais pas pour moi. Surtout ailleurs de mon pays.
- C’est quoi qui te dérange chez toi? Ton nez aquilin, tes cheveux noirs et frisés ou ton teint basané?
- Rien de tout cela. Mais ça dérange les autres.
- Tu te trompes carrément... Qui t’a foutu ce complexe dans la tête? Encore un ces prêtres à la con? En tout cas, pas une Suédoise, blonde et pâle comme le lait, qui adore aller en Afrique pour se faire sauter. Et il y en a beaucoup sur le marché.
- Merci pour cette information. Mais ici, nous sommes à Vyborg.
- Oui, mais jusqu’à quand?
- C’est une devinette ou une farce?
- Ni l’une l’autre ni l’autre.
- Quoi alors?
Je frotte les mains et je me m’apprête à tout lui expliquer... mais voilà que la prudence, mère de toutes les vertus, me chuchote à l’oreille, celle qui n’a été endommagée lors des combats:
- Pas ici, le lieu n’est pas approprié, bavard comme il n’y en a pas deux.
Alors, me lève brusquement, je paie les consommations en toute hâte et je tire Raoul par le bras en lui ordonnant:
- Lève tes fesses et suis-moi, la vérité toute nue t’attend loin des lumières de la cité...