Je referme mon bloc-notes, le range dans mon sac et je regarde par la fenêtre:
Tchou-tchou, tchou-tchou... des arbres, des arbres, rien que des arbres.
- Tous ces arbres qui me cachent la forêt, je chuchote en souriant. Mais où sommes-nous?
- Au Valhalla, me crie une voix céleste, un voix d’homme déguisée évidemment.
Aussitôt, je me retourne en sursautant et je constate avec stupéfaction que le jeune homme accoutré d’une blouse blanche toute chiffonnée est revenu et assis à sa place.
- Un fantôme n’aurait pas fait mieux, je lui dis... Non, c’est de ma faute, j’étais ailleurs.
- Pas de la vôtre mais de la mienne, me corrige-il. Car... Car...
- Car?
- Soit je me comporte comme un théâtreux soit comme un renard ou un rat.
- Quelle est la différence entre ces bestioles?
- La première cherche une proie, la deuxième son trou.
- Et là?
- Et là quoi?
- Qu’avez-vous trouvé ou retrouvé? Votre proie ou votre trou?
- Ma place.
- J’aime mieux ça.
Le jeune homme se frotte le front puis il me dit:
- Sûrement, mon absence vous a semblé longue et vous avez dû fantasmer sur moi, non? Au sens large du terme, bien entendu.
Je pince les lèvres.
- Laissez tomber! poursuit-il aussitôt! Où en étiez-nous? C’était à moi de m’exprimer, n’est-ce pas? Au sujet de Susana Perla, je crois...
- Effectivement mais également de moi, je précise.
Il se frotte la tempe droite, que celle-ci cette fois-ci, puis n’avoue tout embarrassé:
- Pareil au voleur qui pense que tout le monde vole comme lui, j’ai agis de même... C’est moi qui ai fantasmé sur elle et pas du tout au sens large et le regrette... à cause de ma copine qui n’arrête pas de me parler... de sa beauté et qu’elle adore s’habiller comme la gamine de Vermeer... mais, vêtue ainsi ou à poil, en chair et en os, je ne l’ai jamais vue de mes propres yeux. Je peux donc vous jurer sur n’importe quel livre sacré de votre choix que je ne la connais pas du tout. Par contre, concernant vous, c’est tout l’inverse ou presque... par vos vidéos et vos déclarations sur les réseaux sociaux. YouTube, Facebook et compagnie! Votre philosophie sur la transparence, c’est bien joli mais... mais...
- Mais?
- N’avez-vous pas peur qu’elle vous mette un jour en danger?
- Je le suis déjà, peut-être. Mais rien ne me preuve que les experts en cachotteries ne le sont pas. Nous sommes tous observés et sur la sellette, à mon avis.
- C’est là-haut que vous vous êtes forgé cette idée.
- Là-haut où?
- Dans l’Himalya, après avoir visité les Hunzas?
Je souris et je confesse:
- En effet, aux confins du Tibet, un évènement extraordinaire s’est passé dans ma vie que vous avez interprété par un éventuel face-à-face avec le Grand Barbu... C’était presque ça, excepté que le seigneur en question ressemblait plus à une femme à barbe à moitié rasée.
- C’est vrai?
- Non, mais c’est tout comme.
- Comment ça?
- A plus de huit mille deux cents pieds d’attitude, la cervelle humaine a tendance à perdre pied...
- Là la redondance nominale mérite d’être portée aux nues, dirait mon prof de littérature très à gauche.
- Également, pourquoi pas! Mais, paradoxalement, j’ai compris que la vie se répète harmonieusement comme la courbe d’une sinusoïde... et, illico presto, trois mots me vinrent à l’esprit: le beau, le vide et l’éternité... Et...
- Et?
- Plus rien n’était important.
- Et maintenant?
- Je me laisse vivre... Rien n’est vraiment important. Seul l’instant présent compte.
- Et Susana Perla, alors?...