Je suis enfin dans le train. De luxe,  un privilège  par rapport aux autres moyens de transport que j’ai dû prendre pour fuir les régions bombardées voire rasées.

 Subitement: 

 Tchou-tchou, tchou-tchou... et le paysage défile allégrement sous mes yeux. Ou plutôt beautés, couleurs, ordre et harmonie.

 Et j’ai la vague impression d’être retourné en enfance. Où l’âme respire et grandit par ce qu’elle découvre.

 Malheureusement, cet état de béatitude ou presque ne dure qu’un laps de temps. 

 Dommage!

 - Le passé n’abandonne donc jamais, cette ordure, je murmure le visage crispé.

 Un passager qui se trouve en face de moi, sans doute désarçonné par cette déclaration  inopinée bien qu’à voix basse, me regarde bizarrement puis me demande gentiment:

 - Ça va, monsieur, puis-je vous aider?

 - Impossible! je lui réponds. Seule la verbalisation de quelques vieux et terribles souvenirs peut étayer ma charpente.

 - Désolé... mais je ne vous suis pas.

 - C’est moi qui suis désolé, j’ai confondu mon état d’âme avec l’ambiance d’un quartier totalement anéanti. L’homme se met parfois à la place de ses acquis perdus, ne croyez-vous pas?

 - Je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé cette question-là.   

 - Tant mieux pour vous!... Cela prouve bien que vous vivez dans un pays en paix.

 - D’où venez-vous?

 - De nulle part... en lisant les anciennes cartes...