Du lundi au vendredi, à l’heure précise où tous les braves, paraît-il, ont terminé de servir honorablement l’administration locale et de ce fait ont le droit d’aller boire un verre à la cantine à la barbe de l’état, Arne Alexandrovitch Fågel, alias le Viking désarmé alias Papounette, se presse de rentrer chez lui. Car peu bavard voir trop secret mais, surtout, il n’a rien à foutre des cancans de ses collègues. Ça lui cassent vraiment les oreilles, d’après lui.
Mais ce jour-là, il y a comme un grain de sable dans l’engrenage, si vous me permettez cette expression.
Nous sommes à table, les bras croisés. Nous attendons le chef de famille, évidemment.
Ma mère regarde plusieurs fois sa montre puis murmure, le visage sombre:
- J’espère qu’on ne l’a pas arrêté.
- Pour quelle raison? je lui demande. Il est plus sage d’un prêtre et muet comme une carpe, la plupart du temps.
- A la maison seulement.
- Au contraire.
- Comment le sais-tu?
- C’est lui qui me l’a dit... Il y a fort longtemps.
- Et tu te souviens de ça?
- Oui, de ça et d’autres choses.
- Quoi par exemple?
- Toi aussi, tu t’y mets à ce jeu débile? Mon psychiatre me finit largement.
- C’est dans ton intérêt.
- Pense plutôt à Papa!
- Je ne fais que ça... J’espère qu’on ne l’a pas arrêté.
- Tu n’aurais pas une meilleure pensée que celle-ci?
- Quoi par exemple?
- Tu te répètes, Maman!... Il a peut-être rencontré un vieux copain d’enfance, qui sait!
- Impossible.
- Pourquoi?
- Il m’aurait téléphoné.
- Alors, allons l’attendre au balcon.
- Jamais de la vie!
- Varför?
- Nos voisins ne doivent pas s’imaginer de quoi que ce soit, avec la tronche que je me paie.
- Maman! C’est quoi pour un langage?...
- Et puis ton père passe toujours par derrière.
- C’est nouveau ça. De puis quand?
- Depuis que... que...
- Que la guerre a éclaté?
Et juste à cet instant, on sonne à la porte.
- C’est la police! hurle ma mère sur-le-champ, toute affolée.
- Non, c’est moi, crie mon père, j’ai perdu les clés... accrochées à mon portable...