Je me rafraîchis le visage, je quitte la salle de bain et je me rend à la cuisine où ma mère est en train de s’apprêter à fabriquer son gravlax. 

 - Tu es certaine que tu n’as rien oublié avant de découper le saumon frais en lamelles? je lui demande.

 - Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces, me répond-t-elle. J’ai tout ce qu’il me faut sous les yeux...

 - C’est-à-dire? 

 - Le sel, le sucre, le poivre et l’aneth.

 - Et l’aquavit ou la vodka alors?

 - J’en mets que rarement et très peu.  Une à deux cuillères à café, selon la quantité de poisson. Pour faire plaisir à ton cher papa uniquement. Quand ce n’est que pour lui...

  - Je croyais que c’était nécessaire pour tuer les parasites.

 - Non, c’est la congélation qui les tue.

 - Donc, pas l’alcool?

 - Peut-être aussi. Je ne suis pas biologiste ou biochimiste pour te confirmer quoi que ce soit sur le sujet...

 - Biologiste, tu as dit?

 - Oui, pourquoi?

 - Ce n’était le métier que je voulais faire quand j’étais adolescent?

 - Pas toi mais la fille du marchand d’en face.

 - Lili? La jeune fille que j’ai aidé à porter ses bagages?

 - Comment ça? s’inquiète ma génitrice-protectrice. Elle est revenue, cette chipie?

 - Comment ça? je m’inquiète à mon tour... Pourquoi un tel préjugé?

 - C’est une longue histoire.

 - Raconte!

 - Mieux rester dans l’ignorance que... que...

 - Que quoi?

 - De ramener la merde sur le tapis.

 - Eh bien, maman, tu m’en bouches un coin!

 - En bien ou en mal?

 - En bien forcément!

 Alors, la cheffe de famille, en l’absence de mon père seulement, vu que le machisme règne encore dans la famille, me sourit, inspire et expire profondément, me jette une œillade puis, telle une complice, me propose ardemment:

 - Repose ta fâcheuse question en présence du daron. Si possible après le dîner. Et tu auras des milliers de réponses...