Un jour pas comme les autres, une jeune femme d’une beauté singulière, sac au dos et grosse valise à la main, entre dans un café-restaurant, s’approche d’un jeune homme, d’une beauté singulière lui-aussi, qui est en train de boire son premier café de la journée sans doute, et lui demande:
- Êtes-vous automobiliste, cher Monsieur? Je suis auto-stoppeuse, par nécessité et conviction.
- Désolé, mais mon art ne me le permet pas encore? lui répond le consommateur d’arabica... Voire peut-être jamais.
- Quel est donc cet art si terrible?
- J’écris des romans.
- Ça alors! s’exclame-t-elle... Je ne pouvais pas mieux tomber.
- A qui ai-je l’honneur?
Elle se présente:
- Je m’appelle Éva Liova, je suis une éditrice auto-stoppeuse.
- C’est-à-dire?
- Contrairement à mes confrères et consoeurs, je cours dernière la perle rare...
- En faisant de l’auto-stop et non pas en attendant qu’elle se pointe chez vous, n’est-ce pas?
- Exactement! Mais pour deux raisons.
- Lesquelles.
- La première: je n’ai pas les moyens de me payer un bureau et tout le tralala. La seconde: chercher auprès de tout le monde est plus enrichissant que d’attendre les visites d’une éventuelle élite intellectuelle. Car... car...
- Car?
- Ceux qui n’osent pas cachent souvent des vérités plus profondes que ceux qui osent... Et vous?
- Et moi quoi?
- Quel est donc l’heureux éditeur qui vous édite?
L’écrivain, en herbe ou pas, se gratte la tête puis il se présente:
- Christian de Léglise, entre autres.
Et il avoue finalement:
- Je n’en ai aucun pour l’instant. Mais, vu les facilités actuelles de publication, le cas échéant je choisirai l’auto-édition...
- Pourquoi le cas échéant?
- Parce que j’ai de la peine à terminer mes romans...
- Combien sont-elles ces oeuvres inachevées?
- Trois!... Inachevés pour une raison que j’ignore.
- Tout s’explique.
- Comment?
- Où habitez-vous?
- Au-dessus du bistrot.
- Allez les chercher!
- Quoi donc?
- Vos trois manuscrits, pardi!
Le romancier disparaît sur le champ.
Éva Liova s’assied à un table et commande un bière panachée en attendant que son éventuel nouveau poulain revienne.
- Pour de bon, murmura-t-elle.
Car on ne jamais, pense-t-elle, avec tous les farfelus que l’on croise sur terre et qui se déclare être ceci ou cela et qui ne sont ni ceci ni cela.
Cinq minutes plus tard, l’homme en question réapparaît tout essoufflé avec une grosse enveloppe jaune format A4, il la lui remet en souriant puis il lui dit:
- Tout y est. Y compris nom, adresse et mon numéro de téléphone sur un petit billet. J’ai confiance en vous.
L’éditrice se lève et ils se serrent la main.
En partant, la jeune femme hors du commun dit au jeune homme hors du commun:
- Pour une fois, je prendrai l’autobus. Et ce afin plonger déjà dans vos récits. Si la foule me le permettra, bien entendu...