Le soir, au dîner, mon père me demande:
- Des nouvelles pour ton boulot?
- Pas encore, je lui réponds... Tu sais bien, il leur faut du temps pour prendre une décision à ces fonctionnaires.
- Et surtout à se décider d’ouvrir une lettre, dit ma mère... Bien que dans le privé, ce n’est guère mieux avec nos secrétaires qui passent les trois quarts de leur journée à se coiffer dans les toilettes ou à se limer les ongles.
- J’espère tu as collé un timbre avant de l’expédier! s’inquiète mon vieux.
- En express et en recommandé, je mens pour le rassurer.
- C’est bien mon fils.
- Mais!
- Mais quoi?
- Je ne l’ai pas scellée.
- Comment ça?
- Le rabat de fermeture, je l’ai laissé tel quel. Pour deux raisons.
- Lesquelles?
- La première: l’adhésif qui se trouvait sur le rabat de scellement ne m’inspirait pas confiance et...
- Et?
- Ce qui m’a conduit à la seconde. Soit à m’interroger: si quelqu’un n’a vraiment rien à cacher, pourquoi agirait-il contrairement. En avant donc la transparente!
- Eh bien, tu m’en bouche un coin.... A part ça?
- Deux flics ont sonné à la porte. A cause d’une fuite de gaz.
- Il se sont moqués de toi.
- Je ne crois pas, ils avaient l’air très sérieux.
- Les cons ont toujours l’air très sérieux lorsqu’ils mentent.
- Qu’est-ce qui te faire dire?
- La parole d’un flic est moins fiable de celle d’une... d’une...
- D’une pute, poursuit ma mère... N’est-ce pas, chéri?
Mon père ne s’est plus où se mettre.
Elle s’adresse à moi:
- Les hommes ont souvent tendance à critiquer leurs semblables voire d’avantage que leurs ennemis.
- Il n’y a pas de gaz dans tout le quartier après que j’ai visité officiellement Auschwitz avec mes collègues! crie l’ancien maire de la ville.
- Et qui d’autre? gueule son épouse.
- En signe de solidarité envers les victimes du nazisme! s’exprime-t-il avec beaucoup d’émotion.
- Maman, Papa, à quoi vous jouez? je leur demande.
Et ma mère me répond:
- Ton paternel est très fort pour changer de conversation. Il utilise tantôt la méthode forte tantôt la méthode émouvante et les malheurs des autres.
- Uniquement quand c’est nécessaire? conteste-t-il.
- Et ça l’est maintenant?
- Notre petit Charly s’est fait avoir comme un bleu, il n’a vue que du feu.
- Je ne comprends rien à tes salades.
- Je parie ma tête que les deux cocos qui sont venus inspecter nos lieux n’étaient autres que des agents, déguisés ou pas, envoyés par le patron des surveillants des galères.
- Mais ils lui ont raconté des balivernes?
- Aucune importance!...Tu as entendu ces gens-là raconter autre chose? Certainement pas. Le dirlo peut sûrement s’assurer que le futur garde-chiourme ne souffre pas du syndrome de Diogène.
Je tombe des nues...