Après cette discussion avec ma mère qui, comme toujours, ne mène nulle part, je pars en courant de ce soi-disant chez-moi,  bientôt dans les pages noires de mes annales, j’espère, car hostile à mes rêves de liberté, et me retrouve dans la rue tout essoufflé comme jamais.

 Je m’arrête forcément, je crache et, courbée comme un vieillard qui hésite à se redresser, je murmure avec peine:

 - Quand cessera-il ce calvaire, Seigneur?

 Et une voix fluette, derrière mon dos, me répond:

 - À Pâques ou à la Trinité.

 Je me retourne aussitôt et je découvre avec stupéfaction Raoul, la bouche en cul de poule. 

 Et forcément je reste bouche bée.

 - Ça t’étonne de me voir, n’est-ce pas? me demande-t-il. 

 - Et toi alors? je réplique sèchement.

 - Oui et non.

 - C’est-à-dire?

 - Je ne te suis pas.

 - Une fois de plus.

 - A quoi tu joues?

 - C’est le comble! Tu cherches quoi, à ce que je perde aussi la notion du temps? Serais-tu complice de mon psy?...

 - Je n’oserai jamais m’associer à un pareil individu.

 - Alors, tu étais où hier soir?

 - Au Danemark et je suis arrivé ce matin en douce par la Finlande.

 - Alors pourquoi tu m’as dit que tu étais au Groenland?

 - J’y étais mais pas hier.

 - Serais-tu comme les Amerloques qui confondent la Suède avec la Suisse?

 - Loin de là! Moi, je ne me contente pas de ne lire que les deux premières lettres de chaque mot pour juger la valeur de tout un discours ou un texte.

 - Dommage!

 - Pourquoi?

 - Parce que ainsi, aucune revue littéraire ne voudra t’engager... en tant que critique. 

 - Je n’ai jamais postulé dans ces milieux-là... Trop intellos et rarement sincères...

  - Alors?

 - Cesse avec tes alors et tes questions à la con. J’ai cité le Groenland parce que j’ai eu l’impression que j’étais sur écoute. Ils m’ont traumatisé les copains de l’oncle Sam... Satisfait?

 - Satisfait!... On va se boire un verre? Sans alcool, bien entendu.

 - Athée ne veut pas dire abstinent, que je sache!...