- Pas moi... Et que penserait Lili?
D’emblée, j’imagine ma chère épouse en train de se disputer avec des personnes en blouse blanche au fond d’une tranchée. Et je murmure:
- Il faut qu’elle s’en sorte d’abord de ce trou maudit.
- Mais à quoi songes-tu? s’inquiète Raoul. Tu as l’air complètement ailleurs...
- Désolé!... J’étais mais je ne le suis plus.
- Mais de quoi tu parles?
- Les neurones de ma cervelle s’affolent parfois et je confonds tout. Le passé, le présent et le futur.
- Sois plus explicite!
- C’est trop compliqué. J’aurais l’impression de patauger dans la semoule.
- Tu n’es pas en bagarre avec son épouse, j’espère?
- Quelle pensée sordide! Loin de là, de ce côté-là, tout roule sur de parfaites roulettes. Mais pour que tout aille pour le mieux, nous avons décidé de ne pas nous téléphoner quand nous sommes très loin l’un de l’autre.
- Elle est où au fait? On dirait que c’est un secret d’état. Ni sa mère, ni son père...
- Chut! C’en est un.
- Vraiment?
- Non... Mais presque.
- Dois-je appeler les urgences?
- Pour sauver qui, un fou parmi tant d’autres?
- Je crois que j’ai mettre les voiles...
- Au contraire, accroche-bien à cette table,
car ce je vais t’avouer te feras sûrement sauter de joie. Pas dans immédiat... Tu es prêt?
- J’écoute!
- Actuellement, Lili est en train de négocier avec les autorités universitaires et régionales quelque chose dont tu en profiteras aussi et très largement. En cas d’accord, bien entendu.
- C’est quoi?
- Tout vient à point à qui sait attendre.
- Alors ton aveu n’est pas un aveu mais... mais...
- Mais quoi?
- Le condensé des vœux de fin d’année d’un homme d’état.
- Tu as beaucoup d’imagination, mon ami.
- Non, de jugement... Ai-je tort?
- A moitié... Comme moi, dans un certain sens.
- Ne cherche pas à m’embrouiller!
- A qui le dis-tu!... Si je vais au fond des choses...
- Comme Lili au fond de sa tranchée?
Du coup, je tombe sur le cul.
- Qu’y a-t-il? s’inquiète Raoul de nouveau.
- Ma parole, tu ferais un excellent psychologie! je lui déclare... D’après Lili. Et moi aussi maintenant. Si... si... si...
- Arrête avec tes si, ça me siffle aux oreilles!
- Dommage!... En somme, tu es pareil au peuple: dès que la vérité s’approche de lui, il préfère s’en éloigner au profit des mensonges qui le font jouir ou le réconfortent.
- D’où tu sors ça?
- Pourquoi, c’est aussi compliqué voire absurde pour toi?
- Notre conversation ne mène nulle part.
- Pas forcément!
- Que cherches-tu savoir?
- Avoue-moi à ton tour qui tu es réellement et elle te mènera là tu veux qu’elle soit.
- Si ce n’est qu’un jeu pour toi, je joue alors.
- Pourquoi tu prétends être athée non pas croyant?
- Parce que mon père navigue entre ces deux états d’âme, si ce terme te convient. Et moi, ne n’aime pas ça. Parfois, le fait seul de penser qu’il mange à tous les râteliers, ça me les gonfles sérieusement.
- Veux-tu que l’on arrête?
- Non si le feu en vaut la chandelle.
- Et quelle chandelle!... Éclaire-moi donc avec ce chandelier. Ou plutôt, j’aimerais avoir un meilleur éclairage sur ton père.
- C’était pourtant facile devenir, vu tout ce que tu sais déjà sur lui, bon bref... Quand il s’agit de prendre une deuxième épouse, mon imprévisible vieux est musulman et, quand il s’agit de boire et de bouffer du cochon avec ses amis chrétiens, il ne l’est plus, il se dit athée... Drôle de mentalité, n’est-ce pas?
- C’est son choix... Et c’est tout?
- Où veux-tu en venir?
- A ton athéisme total!
- C’est-à-dire?
- Pas à cheval comme ton daron mais à fond la caisse comme personne.
- Je donne ma langue au chat.
- Qui ou quoi t’a poussé à fuir la religion de ta famille?
Raoul baisse les yeux, hésite un instant puis me raconte:...